La remise en cause de l'article 118a devant la Cour de Justice - Derniers développements Depuis la publication de notre article sur la remise en cause de l'article 118a devant la Cour de Justice (voir le n°9 de la Newsletter du BTS) , de nombreux lecteurs nous ont écrit pour demander comment la situation évoluait et quelles pouvaient être les initiatives utiles pour empêcher le démantèlement des acquis en santé au travail. Les développements nouveaux ne sont pas très nombreux. Le jugement devrait être prononcé par la Cour de Justice réunie en audience plénière (c'est-à-dire à quinze juges) le 17 décembre prochain. Cela signifierait que la Cour a pris conscience de l'enjeu fondamental de cette affaire, la plus importante qui lui ait été soumise sur l'article 118A depuis son introduction dans le Traité par l'Acte Unique Européen de 1986. Cette reconnaissance de l'importance de l'affaire est certainement positive mais elle ne garantit nullement un jugement conforme à la finalité de l'harmonisation dans le progrès. D'autres affaires ont malheureusement démontré que la sensibilité sociale de la Cour est limitée. Quelle que soit l'orientation adoptée par le jugement, s'il émanait d'une audience plénière, un renversement de jurisprudence à l'occasion d'une affaire ultérieure serait sans doute plus problématique. Dans l'hypothèse d'une remise en cause de l'article 118A, la manière la plus efficace de rétablir pleinement le droit pour les Etats membres de maintenir ou d'adopter des prescriptions plus favorables aux travailleurs serait sans doute d'adopter un protocole qui serait adjoint au Traité (comme cela a été fait à plusieurs reprises déjà). La difficulté est plus politique que juridique: il faudrait l'unanimité des Etats membres. Par contre, la ratification du Traité d'Amsterdam constituerait une occasion pour procéder à cette clarification. Il suffirait alors qu'un seul Etat membre subordonne la ratification du Traité à l'adoption d'un tel protocole pour créer des conditions plus favorables. Or, la ratification finale du Traité n'interviendra pas avant quelques mois dans la mesure où elle suppose une révision constitutionnelle en France. Les informations que nous avons pu recueillir en Italie sont caractérisées par une extrême confusion quant aux responsabilités politiques au sein du précédent gouvernement italien. L'unique certitude dans l'ensemble d'informations contradictoires qui circulent est qu'à aucun moment la Cour de Justice n'a été mise en condition de connaître la législation italienne sur la base d'une défense présentée par les autorités de ce pays et que la responsabilité de cette situation incombe à différentes institutions italiennes. Une lettre défendant la législation italienne sur les agents cancérigènes a bien été envoyée le 16 avril 1997 par le Ministère du Travail. Elle était adressée au Ministère des Affaires Etrangères qui aurait dû la transmettre à la Cour de Justice. Manifestement, pour des raisons que nous ignorons, cette transmission n'a pas été effectuée. Le 13 août 1998, le Ministère du Travail italien s'est adressé à l'Avvocatura generale dello Stato pour demander la réouverture de l'audience sur la base de l'article 61 des règles de procédure de la CJCE. Les informations dont nous disposons semblent indiquer que cette requête n'a jamais été introduite. Il y a-t-il eu une volonté politique de ne pas défendre la législation italienne et, dans ce cas, qui en porte la responsabilité ? Des fonctionnaires ont-ils omis d'accomplir des actes auxquels ils étaient tenus ? Pourquoi le Ministère du Travail n'a-t-il pas assuré le suivi de cette affaire ? Le 4 novembre, les trois confédérations syndicales italiennes ont envoyé au nouveau Ministre du Travail, Antonio Bassolino, une lettre insistant pour que le gouvernement italien prenne enfin ses responsabilités dans une affaire qui pourrait avec des conséquences graves pour l'ensemble des Etats membres. Au moment où cet article est rédigé, nous ignorons si le nouveau gouvernement a entrepris quelque chose ou s'il a maintenu la ligne d'abstention du gouvernement précédent. Quoi qu'il en soit, il semble désormais très tard pour rouvrir l'audience et l'examen du calendrier des activités de la Cour (tel qu'il était fixé le 16 novembre) permet de penser qu'aucune requête n'a été présentée par le gouvernement italien.. En mai 1998, la Confédération Européenne des Syndicats s'est adressée aux différentes confédérations syndicales qui lui sont affiliées pour leur demander d'intervenir auprès de leur propre gouvernement. En effet, les conclusions de l'Avocat général et le rapport de l'audience montrent que la Cour n'a reçu qu'une information parcellaire et contestable sur certains points tant en ce qui concerne les circonstances concrètes de l'affaire qui lui est soumise que sur la législation italienne et le contenu même de la directive communautaire sur les agents cancérigènes. Plus inquiétant encore est le fait dans pour une question de principe sur l'article 118A, aucun Etat membre ne semble s'être préoccupé de faire connaître son analyse et l'intervention de la Commission ne semble pas avoir posé correctement l'ensemble des enjeux. C'est pourquoi la CES a demandé avec insistance une réouverture de l'audience. Une telle possibilité est prévue par l'article 61 des Règles de procédure de la Cour de Justice. Elle ne peut malheureusement être mise en œuvre que par la Cour, d'office ou sur requête d'une des parties, d'une institution communautaire ou d'un des Etats membres. A notre connaissance, aucun Etat membre n'a adressé une requête dans ce sens, pas même l'Italie dont la passivité dans cette affaire est vraiment surprenante et nous oblige à poser la question de savoir si le Ministère du travail veut réellement défendre la législation qu'il est censé faire appliquer. Différentes confédérations syndicales ont pris des initiatives auprès de leur gouvernement. A notre connaissance, il s'agit d'organisations affiliées à la CES en Finlande, au Danemark, en Suède et en Italie ainsi que de la CGT en France. Malhuereusement, les résultats de ces interventions ont été très limités. A notre connaissance, la seule initiative qui a été prise a eu un caractère purement informel. Il s'agissait du dernier Conseil des affaires sociales réuni sous la présidence britannique en juin 1998 qui a examiné au cours d'une rencontre informelle (c'est-à-dire en dehors de son ordre du jour officiel) la question du respect de l'article 118A en ce qui concerne la faculté pour les Etats membres de maintenir ou d'adopter des mesures plus favorables aux travailleurs. Cette discussion a eu lieu à huis clos (comme l'ensemble des procédures du Conseil à l'exception de quelques sessions à usage médiatique). Nous ne sommes en mesure de savoir ce qui a été discuté. Par contre, le Parlement Européen (qui aurait pu interroger la Commission sur le rôle qu'elle a joué dans cette affaire) est resté complètement à l'égard des débats. Pour sa part, la Présidence autrichienne (du second semestre 1998) semble s'être intéressée à la question et il se pourrait qu'une discussion ait lieu à l'occasion du dernier conseil des affaires sociales de cette année en décembre 1998. Nous ignorons tout des positions de l'Allemagne qui assurera la présidence du Conseil pour le premier semestre 1999. Quelle que soit l'issue de cette affaire, elle nous a fait apparaître deux problèmes. Le premier concerne l'accès à la justice. L'impossibilité pour les organisations syndicales nationales ou européennes d'être partie intervenante dans ce genre de conflit ne contribue pas à une jurisprudence sociale de la Cour qui tienne pleinement compte des intérêts sociaux opposés. Le second concerne les obstacles très sérieux qui entravent la transparence de l'action des autorités publiques tant au niveau communautaire que dans les Etats membres. La CES a tenté d'obtenir une copie des conclusions que la Commission avait soumises à la Cour de Justice et qui ont été discutées au cours d'une audience publique. La Commission n'a pas transmis ce document. Au niveau national italien, le refus de la transparence a été encore plus systématique. Le Ministre du Travail du précédent gouvernement, M. Treu, n'a pas donné d' explication concernant la non transmission du mémoire de défense préparé par les services de son Ministère à la Cour de Justice. De telles pratiques augmentent le danger de voir les décisions publiques être influencée par des lobbies au service d'intérêts économiques privés. La date de l'audience n'a pas été fixée. A notre connaissance, les conclusions de l'Avocat général Mischo (diffusée sur le site Internet de la Cour de Justice) ne sont encore disponibles qu'en français. La possibilité existe encore pour les Etats membres de faire rouvrir l'audience. Il circule cependant des informations, que nous n'avons pas pu faire confirmer, suivant lesquelles l'arrêt de la Cour pourrait être rendu avant la fin de l'année 1998. Cet article a été rédigé le 20 novembre 1998, dès que l'arrêt aura été rendu (en principe, le 17 décembre), le site Internet du BTS vous tiendra au courant. |